« L’homme préfère le son de la voix humaine à des livres qui sont sans chaleur et sans vie. »
Jean-Louis Alibert , La physiologie des passions (1825)
L’écriture d’une voix-off peut s’avérer un exercice compliqué car elle requière, à l’instar des dialogues de cinéma, de pouvoir transcender le stade écrit et rester convaincante et porteuse d’un message à l’oral.
Mais ! Avant toute chose et surtout avant de se lancer dans une diatribe sur l’écriture de voix-off dans le film institutionnel, petite minute culture générale !
La voix-off au cinéma désigne toutes les sortes de voix acousmatiques (sons dont la source est hors-champs ou hors cadre). Ces voix sont placées hors-corps soit temporairement (quand elles appartiennent à un personnage intra-diégétique) ou définitivement (quand elles appartiennent à l’entité du Narrateur).
La voix du Narrateur, force omniprésente, omnisciente dont la réverbération lui confère une distance englobée dans l’environnement, a un propos réduit au factuel. Elle est là pour raconter l’histoire sans jugement, sans prise de position. C’est la Connaissance désincarnée qui part au manque de savoir du spectateur quant à l’avant-intrigue, quant aux pensées les plus intimes des personnages etc…
Cependant, Michel Chion distingue un second type de voix off, la voix-je. Celle-ci est supposée forcer l’empathie chez le spectateur par sa proximité, son timbre, sa subjectivité. Elle invite le spectateur à s’identifier. Cette voix, beaucoup plus “humaine” (car atteignable) possède une intention, elle a un rôle à jouer en dehors du pur commentaire informationnel.
Alors, bien évidemment, quand le théoricien Michel Chion s’est penché sur l’étude de la voix-off, il s’intéressait seulement à son cadre cinématographique.
Seulement, la voix off est un soutien très récurrent et essentiel dans la réalisation de film corporate. En effet, de par son aspect didactique (voix du narrateur) elle permet un apport en éléments factuels important. Elle permet aussi de pouvoir joindre des informations visuelles sans que la présence d’un acteur obstrue inutilement l’image. Et aussi, nous le verrons, selon l’intention créative, elle permet aussi d’influencer la réception du message par le spectateur (voix-je).
Cet article se propose de discuter les différentes règles pour écrire une voix-off qui servirait à des fins institutionnelles. Des règles qui concernent aussi bien la sémantique pure, que l’intention d’écriture (quel message transmettre ? comment?)
A l’instar des dialogues, nous l’avons vu, la voix-off a pour vocation à être dite. Elle ne doit donc pas porter (à part si cela est une intention définie) la “lourdeur” de l’écrit. Il vaut mieux privilégier des phrases courtes et simples. Multiplier de courtes propositions au lieu d’une seule longue phrase.
L’utilisation d’adverbes (“c’est à dire”) peuvent introduire naturellement des reformulations qui aident à la compréhension.
Enfin, toujours préférer une phrase verbeuse, notamment des verbes d’actions aux substantifs correspondants et au présent. En effet, le passé et le futur créent une distance avec le récepteur du message, peu propice à renforcer son attention et donc son implication.
Comme quand vous racontez une histoire à l’oral, faites-en sorte que votre “texte” coule avec fluidité et dans un ordre chronologique. Les retours en arrière ont vite tendance à perdre le spectateur.
-Les propositions relatives qui ont tendance à faire perdre le fil directeur de la phrase principale.
-Le participe présent qui peut donner l’impression de simultanéité qui passe moins facilement à l’oral qu’à l’écrit
-Les hiatus et certaines associations de phonèmes (souvenez-vous des fameuses “chaussettes de l’archiduchesse”).
Généralement, dans le monde du corporate, un client va quérir un prestataire audiovisuel pour se charger de la réalisation d’une vidéo dont la finalité diffère selon la nature de l’entreprise cliente, du cadre (présentation de produits, campagne sécuritaire, bilan etc.…) et du public visé. Si la vidéo utilise une voix-off, l’écriture de cette dernière devra donc s’adapter à tous ces critères. Il n’y a donc pas deux voix-off similaires.
Cependant, comme nous l’avons moulte fois répété dans nos précédents articles, la condition sinéquanone à la réussite d’une vidéo d’entreprise est sa propension à utiliser certains outils de base qui génèrent une réception spectatorielle propice.
A contrario des dialogues au cinéma, la voix-off reste désincarnée et n’a donc jamais le soutien de la présence physique d’un acteur pour l’humaniser et donc lui donner de l’ampleur et surtout susciter l’empathie chez le spectateur. Pour parer à ce manque, il faut dès l’écriture personnifier sa voix.
Une voix qui porte un visage, même invisible, à laquelle le spectateur confère volontiers un passé, une personnalité est une voix dont le message sera toujours plus mémorable. En effet, par procédé d’identification, la voix off devient celle du spectateur (voix-je).
L’humanisation passe évidemment en grande partie par le jeu de l’acteur de voix. Il faut soigner la direction d’acteur car même s’il “ne fait qu’enregistrer” une voix, tout doit être travaillé et correspondre aux intentions de réalisation (tessiture de la voix, rythme, ton etc.…). Plus la voix sera travaillée, plus elle sera porteuse de sens. Si le spectateur doit, in fine, être choqué, sensibilisé, c’est surtout grâce à la manière dont la voix s’exprimera, que l’effet fonctionnera.
Dans le fond, il est important de favoriser un maximum un contenu positif voire carrément humoristique. En effet, l’intérêt nait plus rapidement chez le spectateur si le contenu est distrayant et le message reste, de même, plus longtemps en mémoire. Tout ce qui peut être assimilé par notre cerveau à un sentiment de bonheur aura une portée beaucoup plus forte et durable.
Bien évidemment, tout sujet de vidéo ne se prête pas forcément au registre comique. Cependant, préférez toujours une écriture légère qui tend le plus possible vers le positivisme (peu de négation, vocabulaire mélioratif) afin de motiver le spectateur. Il faut qu’il se sente bien pour adhérer au propos.
Impliquer le spectateur dans une “illusion” de discussion est aussi un bon moyen de maintenir son intention. Si vous faite de votre voix-off un monologue contrarié avec des questions rhétoriques, des interjections, des incises telles que “pour vous” ou “comme vous le savez”, le spectateur aura l’impression de participer pleinement à un échange et n’aura donc d’autres choix que de s’impliquer.